Sélection 2018
Palmarès proclamé le 14 décembre 2018 lors de l’émission Open Jazz de Alex Dutilh sur France Musique.
Une sélection proposée par le groupe Jazz et Blues :
Xavier Prévost (coordinateur), Reza Ackbaraly, Philippe Carles, Alex Dutilh, Stéphane Koechlin, Arnaud Merlin, Jacques Périn, Jean-Michel Proust, Daniel Yvinec
Coups de Coeur Blues&Jazz 2018 de l'Académie Charles Cros
pdf – 271.6 ko
L'actualité des Coups de cœur
Jazz
Early in the Morning
Samuel Blaser
Out Note/Outhere
Touché au cœur par l’expressivité du blues, Samuel fait aujourd’hui fructifier cet héritage, dans une conception contemporaine de ce répertoire. Le jeune tromboniste suisse mitonne avec gourmandise de multiples ingrédients pour les faire fondre dans un chaudron chauffé à blanc. En son temps, Béla Bartok partait de ses propres collectages de tradition orale pour construire parallèlement une œuvre d’autant plus personnelle. Samuel Blaser vise de même à célébrer l’universalité du blues, cette musique populaire que recueillait aussi, in situ, l’ethnomusicologue Alan Lomax, dont le tromboniste utilise plusieurs enregistrements. Ce n’est sans doute pas un hasard si l’on trouve parmi les inspirateurs de Blaser quelques belles figures indépendantes de la composition au vingtième siècle, tels Ligeti et Kurtag, dont les aventures sont issues en droite ligne de l’épopée bartokienne.
Open Land
Bruno Angelini
La buisonne/Pias
Un disque d’une grande beauté, signé par le pianiste Bruno Angelini. Beauté singulière, inquiète parfois, mais d’une grande quiétude aussi. Cela commence par un hommage profond et recueilli au pianiste John Taylor, entre requiem et lamento, une lente procession vers l’inaccessible, une quête de l’impalpable, où chaque note est pesée, posée à sa juste place, chaque son dosé, chaque timbre ouvragé. Je ne doute pas une seule seconde que John Taylor aurait accueilli cette dédicace comme une offrande. Puis vient, avec Perfumes of quietness, une mélodie simple sous laquelle l’harmonie bouillonne de tensions, mais sans une once d’ostentation : l’art est à ce prix. Et le chorus de piano s’évade, avant qu’un dialogue ne renaisse entre les protagonistes : Régis Huby au violon, Claude Tchamitchian à la contrebasse & Edward Perraiud à la batterie et aux percussions. La magie continue d’opérer, de plage en plage, entre exposés hiératiques et profusion maîtrisée, mélodies évidentes et surgissement d’intervalles inattendus. Le degré d’implication de chaque musicien est perceptible, jusque dans la plus infime nuance, et l’on se laisse porter, de dérive en surprise, avec la curiosité gourmande d’une promesse de bonheur musical qui n’avoue pas trop ostensiblement son projet, ses ressorts et son horizon. Et pourtant l’horizon est une promesse : les trois dernières plages en forme de suite, comme une cérémonie secrète offerte à l’aventure.
Live at the Village Vanguard, Vol. 1 (The Embedded Sets)
Steve Coleman and Five Elements
Pi Recordings/Orkhêstra
Steve Coleman n’a jamais cessé de donner, à juste titre, l‘image d’un homme qui cherche, qui brasse des idées et des hommes dans son brouet de sorcier.
Porté par l’élan des aînés qu’il admire, il a toujours su donner sa confiance et partager ses idées avec la jeune génération.
Sont passés chez lui, outre Ravi Coltrane, Marvin Smitty Smith, Gary Thomas, David Gilmore, des « jeunes pousses » comme Ambrose Akinmusire, Jonathan Finlayson, Magic Malik, Thomas Morgan, Miles Okazaki, Matt Mitchell, Nelson Veras…
Avec une bonne trentaine de disques à son actif, on en oublierait presque que ce Jazz Activist est jeune sexagénaire.
Avec son nouvel opus, ils nous emmène dans le plus beau club du monde, le Village Vanguard (là où on pouvait l ‘entendre entre 1978 et 1980 avec l ‘orchestre de Thad Jones et Mel Lewis, l ‘homme y a fait ses classes… )
Ici donc se joue une nouvelle et folle chevauchée de 150 minutes. Créativité débridée, sans concession, une musique fondamentalement collective, née d’une série de résidences qui ont permis à un vrai groupe de développer un son et des concepts de jeux qu’ils maîtrisent de façon confondante.
Nos oreilles assistent médusées à ce jeu d’un plus haut niveau où les idées circulent avec la liberté que seule autorise une totale maîtrise de l ‘idiome.
Les exceptionnelles qualités de concepteur, de compositeur et de meneur d’homme de Coleman ne doivent en rien nous faire oublier qu’il reste, aujourd’hui plus que jamais, un des maîtres absolus du saxophone alto.
Moving People
Riccardo Del Fra
Cristal Records/Sony Music
Si le batteur et le guitariste sont américains, le trompettiste est polonais, le saxophoniste allemand, le pianiste français. Ils sont tous ici réunis par la volonté du plus francophile des contrebassistes et compositeurs italiens, Riccardo Del Fra, ancien compagnon de route de Chet Baker, Johnny Griffin et Toots Thielemans. Eternel voyageur comme beaucoup de musiciens, et donc particulièrement sensibilisé à la cause des populations sur la route de l’exil, Riccardo Del Fra imagine avec élan et fraîcheur une subtile géographie de l’émotion, dans une écriture aussi mouvante que le jeu des solistes qu’il aime à mettre en valeur. Improvisateur lyrique mais aussi compositeur inspiré, dont la plume se nourrit aux meilleures sources de la création d’aujourd’hui, le contrebassiste anime avec jubilation ce septette enthousiasmant, et signe sans doute ainsi son meilleur disque.
Universal beings
Makaya McCraven
International Anthem Recording Co.
Quelle fougue !
Le jeune Chicagoans, élevé à Paris et imprégné des pulsations de son père - le batteur historique d’Archie Shepp, Steve McCraven - , nous revient avec un album sous forme de collage et de rencontres improbables.
Pendant quatre ans, il convoque la crème de la crème des improvisateurs de la scène mondiale : l’altiste londonienne Nubya Garcia, la harpiste de Brooklyn Brandee Younger, l’incontournable Shabaka Hutchings, l’arrangeur californien Miguel Artwood Ferguson et bien d’autres encore…
Prise de son live et des heures de post-production à la manière des collages qui façonna le son si unique de l’album Bitches Brew de Miles ; Makaya nous livre un ovni rythmique entre sonorités électroniques et traitement acoustique !
Bravo !
The Window
Cécile McLOrin Salvant
Mack Avenue/Pias
Un nouveau témoignage, éclatant, du Grand Art de cette chanteuse franco-américaine, d’origine haïtienne par son père. Voix prodigieusement riche et étendue, timbre remarquable, maîtrise confondante (mais sans une once d’ostentation), musicalité extrême puisée à toutes les sources (musique afro-américaine, chant baroque, chanson française), et formidable sens de l’interprétation : voix virtuose et habitée, comme l’histoire du jazz en a relativement peu produit. Depuis 2010, où elle remporta le prestigiieux Prix Thelonious Monk, elle n’a cessé de s’aventurer dans les répertoires, et ici persiste et signe, mêlant Broadway au Rhythm’nBlues et à Stevie Wonder, sans oublier les standards du jazz (The Peacocks, de Jimmy Rowles) et un inoxydable de la chanson française, J’ai le cafard, immortalisé par Fréhel et Damia. Entre des plages de studio et des enregistrements de concert ce disque, concocté avec l’absolue connivence du pianiste (et organiste) Sullivan Fortner, est en tout point exceptionnel.
Fanfare XP
Magic Malik
Onze Heure Onze/Absilone
Magic Malik étonne et enchante par l’originalité féconde de son univers. Avec ce groupe issu de sa rencontre, à la Fondation Royaumont dans le cadre d’une résidence, avec le trompettiste Olivier Laisney et le saxophoniste Pascal Mabit, le flûtiste-compositeur-improvisateur développe un travail qui, selon ses propres termes « est un rassemblement de musiciens autour d’une expression musicale à forte identité formelle et pédagogique ». Il propose à ses partenaires une charte, laquelle sert de cadre à un travail qui associe composition et improvisation : 14 musiciennes et musiciens dans ce groupe, leader compris, et tous à un haut niveau d’excellence. Sur des pulsations rythmiques dont la combinaison engendre un support d’une riche complexité, arrangements établis et improvisations dessinent un développement d’une liberté saisissante. Les compositions sont signées par plusieurs membres de la Fanfare, dans le respect de la charte. La musique chemine par mouvements successifs ou simultanés, empreints d’un grand naturel, comme le serait une respiration. La sensualité sonore et le plaisir du jeu exsudent dans un cadre qui aurait pu être corsetant s’il avait basculé dans la rigidité formaliste. Et c’est la grande force de Magic Malik, dans tous ses travaux au fil des années, d’avoir toujours concilié l’exigence formelle et le caractère profondément vivant des musiques qu’il pratique. Et loin de se tailler la part du lion comme soliste, il laisse à ses partenaires un véritable espace d’expression, qui confirme le côté éminemment collectif de ce beau projet.
Espaces
Edward Perraud
Label Bleu / l’autre distribution
Ces trois-là, Paul Lay, Bruno Chevillon et Edward Perraud - piano, contrebasse, batterie -, avancent comme un triangle d’explorateurs en apesanteur en recherche d’espaces vierges. En l’occurrence, les espaces s’appellent des intervalles, au sens musical du terme. « Au beau milieu d’une nuit, confie le batteur-compositeur, je me réveille avec un flash lumineux et sonore, je viens de rêver de théorie musicale : « Chaque intervalle musical connaît son apogée à différents moments de l’histoire du langage tonal occidental. »
Rêve dont la concrétisation lui parait lumineuse : « Écrire tout un opus pour célébrer les intervalles, dans lequel chaque composition est une offrande à un des 12 intervalles du langage tonal compris au sein d’une octave. » Le demi-ton, le ton, la tierce mineure, la tierce majeure, la quarte, la quarte augmentée, la quinte, la sixte mineure, la sixte majeure, la septième mineure, la septième majeure et l’octave… Ne pas se fier aux apparences. A l’arrivée, miracle, le concept devient sensuel et l’abstraction fait place à des jeux malicieux, à des pianissimos onctueux, à des éclats scintillants. La musique respire, ondule, zigzague, ménageant un suspense dans chacune des quatorze pièces. Une sorte de bleu ciel.
My One And Only Love (Live At Theater Gütersloh)
Martial Solal
Intuition/Bertus
Martial Solal fait son entrée dans cette collection ’European Jazz Legends’ qui associe un théâtre de Westphalie, le magazine allemand Jazzthing, la WDR, radio publique de Cologne, et le label Intuition épaulé par Challenge Records. Un concert en solo qui date de l’automne 2017, quelques semaines après le quatre-vingt-dixième anniversaire du pianiste. Devant un public hyper attentif, ce maître de la fantaisie s’en est donné à cœur joie, bouleversant les standards avec sa verve habituelle (et toujours avec de nouvelles idées), nous offrant une de ses plus belles compositions issue des années 70 (Coming Yesterday), improvisant une ballade, et renouvelant une fois de plus son approche d’Ellington dans un pot-pourri qui piège nos attentes. C’est cela qui est merveilleux : à chaque fois, il parvient à nous surprendre. Au même concert, à deux reprise, et à près de 50 minutes d’intervalle, il va se (nous) divertir autour de Frère Jacques (rebaptisé Sir Jack), trouvant à nouveau des échappatoires qui touchent au vertige. Sur Body and Soul, maintes fois joué par lui, et par tant d’autres, il ouvre une porte mystérieuse. Sur Night And Day ou All The Things You Are, tant ressassés par tous les jazzmen, il parvient encore à entrer de plain-pied dans l’inouï, et pourtant le standard est là, joué avec cette amoureuse distance qui est la marque de quelques musiciens d’exception, dont il fait évidemment partie. Une brève fantaisie sur la Marche Turque, et Mozart passé à la moulinette comme jamais ; un feu d’artifice à la gloire du bebop sur Night in Tunisia, et là encore le hachoir est passé, mais pour magnifier ce monument plus qu’historique ; et juste après viendra un Tea For Two qui déconstruit, tout en le célébrant avec amour, le jazz classique, vu d’un surplomb cubiste. Ce disque est décidément un régal, et un GRAND disque de Martial Solal, une fois encore.
The King of the Bungle Bar
Umlaut Big Band (Plays Don Redman)
Umlaut Records/Socadisc
Toujours un plaisir de retrouver cet orchestre hors norme, dans lequel 14 jeunes musiciens, très impliqués dans le jazz d’aujourd’hui (voire de demain !), et dans la musique improvisée, s’investissent dans une aventure pilotée par le saxophoniste-chef d’orchestre Pierre-Antoine Badaroux. Ce passionné d’histoire du jazz, aux talents remarquables comme instrumentiste-improvisateur, mais aussi dans le domaine du relevé et de la transcription de documents sonores du passé, a cette fois puisé dans les compositions du formidable arrangeur que fut Don Redman. Le choix couvre 3 décennies, de 1927 à 1957, et des partitions écrites par Redman pour Fletcher Henderson, les McKinney’s Cotton Pickers, Cab Calloway, Count Basie, et pour son propre orchestre. Sans oublier 7 œuvres inédites au disque, que le musicien-chercheur est allé débusquer (avec la complicité d’Alix Tucou, tromboniste français établi à New York), sous forme de partitions manuscrites, dans le fonds Don Redman d’une bibliothèque états-unienne. Belle occasion pour l’amateur de se replonger dans les versions princeps (une vingtaine sur 28 plages, 7 n’ayant pas été enregistrées), et de jauger la valeur de la restitution : pas de problème, l’esprit et la lettre sont là, l’articulation, le désir de faire sonner, l’effervescence, et le plaisir aussi. Adhésion sans réserve à cette exhumation qui fleure bon la curiosité, la joie de jouer, et le goût de plonger dans la culture d’une musique dont le passé nourrit notre présent.
The Seasons
Ben Wendel
Motéma/Pias
En 2015, le saxophoniste et compositeur Ben Wendel dévoilait un projet vidéo intitulé « The Seasons » en référence à la suite de douze pièces pour piano écrites et diffusées à raison d’une par mois par l’un de ses compositeurs classique préférés, Tchaïkovsky, en 1876. L’idée de Wendel était de composer et de sortir en vidéo douze morceaux de « jazz de chambre » en duo avec quelques figures majeures du jazz contemporain.
« L’idée de “The Seasons” était très simple : douze pièces originales dédiées à douze musiciens que j’admire profondément, diffusées pendant douze mois sur Youtube » raconte Ben Wendel. Quelques années plus tard, Ben Wendel est programmé au mythique Village Vanguard à New York. “Je me suis dit que c’était le moment idéal pour emmener le projet The Seasons plus loin. J’ai mis sur pied un quintet avec des musiciens auxquels j’avais fait appel pour la série de vidéos. La musique que j’avais écrite pour ces duos très intimistes a pris une autre envergure sous les mains de ces musiciens exceptionnels”. On retrouve ainsi Aaron Parks (piano), Gilad Hekselman (guitare), Matt Brewer (basse) et Eric Harland (batterie). Virtuose, joyeux et « lâché »…
Blues
Mo Jodi
Delgrès
PIAS
Dans un monde très identifié, voir très identitaire, le blues ne cesse de se renouveler, voire de se réinventer, repoussant sans cesse ses propres limites. Delgrès, qui doit son nom à Louis Delgrès, héros de la lutte contre l’esclavage s’opposant à Napoleon en Guadeloupe, bouleverse tout ce monde d’une énergie régénératrice et fédératrice. Français d’origine, ce « Power Trio » d’un nouveau genre, constitué d’un chanteur/guitariste dobro, d’un soubassophone et d’une batterie, évolutionne le blues en y injectant une transe rock abrasive qui évoque autant la soul des touaregs que celle de John Lee Hooker et des Black Keys, tout en revendiquant haut et fort, et en actualisant, le message séculaire de leur figure tutélaire. Voilà aussi pourquoi cette musique rebelle et brûlante, à travers les frissons qu’elle dégage, nous parle autant aujourd’hui, en faisant vibrer aussi bien nos corps que nos esprits.
The Blues Is Alive And Well
Buddy Guy
Silverstone Records/RCA
A 82 ans, Buddy Guy n’a plus grand-chose à prouver. Ce qui ne l’empêche pas de publier régulièrement de nouveaux albums, comme ce dernier au titre rassurant. Depuis une dizaine années, il collabore avec le producteur-batteur Tom Hambridge qui lui propose un répertoire qu’il n’a aucun mal à endosser. Ainsi de A Few Good Years qui ouvre le disque dans un climat tendu ou du crépusculaire End of the line. Buddy Guy ne fait pas toujours dans la sobriété, lorsqu’il débride sa guitare ou lorsqu’il chante les délices du Cognac (à consommer avec modération !), déléguant les solos à Jeff Beck et Keith Richards. Et l’harmonica très investi de Mick Jagger est aussi de la fête sur un autre titre. Les fulgurances de la guitare de Buddy Guy, ses salves de notes bouillonnantes font monter la pression, mais il sait ailleurs se montrer concis et subtil. Un art de la tension-détente qu’il pratique aussi vocalement, car, on l’oublie trop souvent, Buddy Guy est un grand chanteur.
No Mercy In This Land
Ben Harper & Charlie Musselwhite
Anti-Records/Pias
Saluons le choix de Ben Harper ! Car il fut comme un amant volage, un dragueur invétéré du rock, du reggae, du funk, délaissant sa vieille maîtresse, le blues. Quand ce guitariste extraordinaire se révèle en 1994 avec Welcome To The Cruel World, les trompettes de la renommée sonnent pour lui. Il se produit au Zenith, épouse la belle actrice Laura Dern. Il est un jeune prince américain et peut devenir un nouveau Prince. Mais le musicien a trop de facilité, il s’éparpille façon puzzle, comme dirait l’autre, convoite le Veau d’or, cherche l’argent et la gloire… Une histoire malheureusement courante ! Puis il s’est rappelé que jeune, il allait défier le guitariste Brownie McGhee devant son garage à Oakland, qu’il écoutait Mississippi John Hurt, Skip James, Robert Johnson. Le blues donnait un sens à la vie, comme les cailloux du Petit Poucet ou le fil d’Ariane… Il est ainsi revenu à son foyer. Ses disques avec le mythique groupe de gospel Blind Boys Of Alabama, ses titres aux côtés de John Lee Hooker font partie de ses meilleures productions. A cette splendide collection, s’ajoute désormais un magnifique album qui ne doit rien au marché et à la loterie du public, mais plutôt à la vérité, à l’enfance, à tout ce qui fonde l’art, No Mercy In This Land. Il a réveillé un volcan éteint, le grand harmoniciste du Mississippi Charlie Musselwhite, 74 ans, vieux bonhomme ressuscité de son fleuve de boue et des encyclopédies qui renouvela le blues américain au début des années 1960 avec John Hammond Jr et Paul Butterfield. Nous tenons là une superbe œuvre, poétique, langoureuse, parfois incendiaire où le jeu de guitare de Ben Harper, dépouillé et lyrique, et sa voix chaude épousent le feu de Musselwhite. Du lamento au boogie, l’œuvre a l’éclat précieux des guitares vintages avec lesquels joue Ben Harper, la rusticité des vieux ranchs perdus au milieu des champs, fait sentir le tremblement du train à vapeur, la passion du voyage, les odeurs des marais… Les deux hommes jouent en plus un nouveau répertoire et non les sempiternels classiques, emmêlés dans une même cool attitude. Un beau disque joué sur le roc tout en contemplant les étoiles. L’essence du blues.